Bafouer les droits des joueurs de la LHJMQ n’est pas une solution honorable

(MARTIN LECLERC, ici.radio-canada.ca – May 17, 2018 / Photo : Radio-Canada)

BILLET – Dans une société évoluée comme la nôtre, modifier une loi dans le but spécifique d’abroger un droit détenu par un groupe de citoyens est un geste extrêmement grave. C’est pourtant ce que s’apprête à faire la ministre québécoise du Travail, Dominique Vien, en rendant les hockeyeurs de la LHJMQ inadmissibles aux dispositions de la Loi sur les normes du travail.
Depuis cinq ans, les tribunaux provinciaux de l’Alberta, de l’Ontario et du Québec sont saisis de demandes de recours collectifs intentés par d’anciens hockeyeurs du junior majeur. Ces recours allèguent que les équipes membres des ligues juniors de l’Ouest, de l’Ontario et de la LHJMQ sont des entreprises au sens de la loi et que leurs joueurs devraient donc être considérés comme des employés et avoir droit à une compensation minimale équivalente au salaire minimum.

D’un point de vue juridique, la logique de ce recours collectif est implacable. Les 60 équipes canadiennes de hockey junior majeur génèrent des revenus qui atteignent (de façon modérée) de 180 à 200 millions par année, et elles fonctionnent exactement comme les équipes de la LNH :

– Elles sélectionnent leurs joueurs par voie de repêchage, et ces derniers ne peuvent choisir l’endroit où ils poursuivront leur carrière sportive ou leurs études.

– Les joueurs peuvent être échangés comme des professionnels au beau milieu de la saison ou congédiés à n’importe quel moment, au gré des intérêts sportifs et commerciaux de leur équipe.

– Les ligues juniors canadiennes tirent leurs revenus de la vente de billets, de commandites et de droits de télévision. Elles se servent aussi de la notoriété de leurs joueurs pour vendre des articles promotionnels (t-shirts, chandails, etc.). Jusqu’en 2020, les trois ligues juniors canadiennes sont aussi liées avec la LNH par une entente de sept ans qui leur rapporte quelque 80 millions.

– Le plus hallucinant dans cette histoire, c’est que tous les employés des équipes du junior majeur (entraîneurs, soigneurs, préposés à l’équipement, secrétaires, etc.) sont des salariés minimalement couverts par les normes du travail… sauf les joueurs! Les hockeyeurs, qui génèrent pourtant toute cette activité économique, ont droit à des allocations variant de 50 $ à 150 $ par semaine. À la fin de leur stage junior, certains d’entre eux ont aussi droit à des bourses d’études.

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La question posée dans le cadre de ces recours collectifs est donc tout à fait pertinente. L’apparence de droit que détiennent ces jeunes joueurs est extrêmement forte. Et des jugements rendus en leur faveur pourraient forcer les équipes à revoir leur modèle d’affaires (peut-être en partageant les revenus entre elles) et à rajuster les conditions offertes à leurs athlètes.

C’est d’ailleurs pourquoi, mardi, malgré les objections de la Ligue de l’Ouest, la Cour d’appel de l’Alberta a confirmé que le recours collectif concernant ce circuit pouvait aller de l’avant. Auparavant, la Cour suprême de l’Ontario, malgré les objections de la Ligue junior de l’Ontario, avait fait de même en ce qui a trait à la demande de recours collectif déposée dans cette province.

Au Québec, la cause est toujours pendante.

En fait, les chances de victoire juridique des joueurs sont tellement élevées que les commissaires des trois ligues de hockey junior majeur ont rapidement déclenché des opérations de lobbying auprès des gouvernements provinciaux et des législatures des États américains où sont basées des équipes afin de faire modifier les lois du travail. Et, incroyablement, la plupart des gouvernements obtempèrent docilement.

Jusqu’à présent, seuls l’Ontario et l’Oregon semblent avoir choisi de protéger les droits des jeunes citoyens concernés et de ne pas s’immiscer dans le débat juridique en cours.

Au Québec, il a suffi que le commissaire de la LHJMQ, Gilles Courteau, écrive une lettre à la ministre Vien et qu’il la rencontre une seule fois pour que cette dernière s’engage à modifier la Loi sur les normes du travail. La LHJMQ a ses entrées au sein du gouvernement libéral. L’ancien député Norm McMillan a déjà été le gouverneur des Olympiques de Gatineau, et il agit depuis longtemps comme facilitateur quand des questions politiques intéressant la LHJMQ surgissent. Depuis 2016, M. McMillan agit à titre de conseiller spécial du premier ministre Couillard.

En démocratie, restreindre ou abroger les droits que détiennent des citoyens est une décision extrêmement sérieuse et lourde de conséquences. La ministre Vien l’a prise sans même se donner la peine d’étudier le modèle d’affaires de la LHJMQ ou de consulter les états financiers des équipes. Il est par ailleurs très inquiétant, dans une société de droits, de voir un gouvernement se dépêcher à légiférer pour court-circuiter une éventuelle décision des tribunaux.

En septembre 2016, la ministre Vien justifiait sa décision d’aller de l’avant en soutenant que si la LHJMQ perdait éventuellement sa cause devant les tribunaux « ça aurait un impact sur tout le sport amateur et ferait des athlètes quasiment des joueurs professionnels ».

Si elle avait su de quoi elle parlait, elle aurait compris que les hockeyeurs juniors sont, justement, soumis à des conditions très semblables à celles des hockeyeurs professionnels. C’est d’ailleurs l’essence du débat juridique qui dure depuis cinq ans.

Rappelons à la ministre qu’à un jet de pierre de l’Assemblée nationale, on retrouve une équipe junior détenue par une société cotée en bourse ayant attiré près de 340 000 spectateurs cette saison. Quels droits protège-t-elle au juste?

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Le projet de loi 176, pour lequel l’Assemblée nationale tient des consultations jusqu’au 28 mai prochain, exclut de la Loi sur les normes du travail « les athlètes dont l’appartenance à une équipe sportive est conditionnelle à la poursuite d’un programme de formation scolaire ». On aurait tout aussi bien pu écrire « exclut les hockeyeurs de la LHJMQ », tellement la mesure est ciblée.

Cette modification législative concerne des hockeyeurs âgés de 16 à 20 ans, ce qui la rend encore plus scandaleuse parce qu’ils n’ont pas les moyens de se défendre ni de plaider leur cause.

Quand vous gagnez 50 $ par semaine, que vos parents ont investi à peu près tout ce qu’ils avaient dans votre aventure sportive et que vous ne pouvez vous permettre d’entrer en conflit avec les dirigeants de votre équipe, il ne vous reste qu’à « prendre votre trou ».

Il est par ailleurs intéressant de voir la ministre se servir du volet scolaire de la LHJMQ comme prétexte pour priver les joueurs de leurs droits.

L’an dernier, j’ai eu l’honneur et le plaisir de siéger au comité chargé d’identifier le gagnant du trophée Marcel-Robert, remis annuellement au meilleur joueur-étudiant de la LHJMQ. À la fin de nos entrevues individuelles avec les trois finalistes, nous leur posions tous la même question : « Si vous étiez commissaire de la LHJMQ, quel serait le premier changement que vous apporteriez à la ligue? »

Incroyablement, les trois ont répondu la même chose : « Je modifierais le calendrier, parce que nous n’avons pas le temps d’étudier! » Venant des trois meilleurs étudiants de la ligue qui, malgré leur talent scolaire, étaient incapables d’étudier à temps plein, ces réponses étaient très révélatrices.

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En février dernier, en Oregon, alors que la Ligue junior de l’Ouest tentait de convaincre la législature de l’État de soustraire les joueurs des Winterhawks de Portland aux normes du travail, un syndicat local, l’AFL-CIO, a fait preuve de grande responsabilité sociale.

L’AFL-CIO représente environ 300 000 travailleurs en Oregon. Même si le syndicat n’était pas directement concerné par ce débat, il a participé aux audiences et plaidé la cause des joueurs. Un dirigeant de l’AFL-CIO a exhorté la législature à ne pas priver de jeunes citoyens des faibles recours dont ils disposent en matière de relations de travail et à laisser les tribunaux faire leurs devoirs.

L’AFL-CIO a par ailleurs rappelé que les hockeyeurs juniors pratiquent une activité dont les risques pour la santé sont nettement plus élevés que les activités pratiquées par les travailleurs en général, et que ce facteur devait être pris en considération dans la décision de maintenir leur protection légale.

D’autres intervenants s’en sont mêlés et les normes du travail n’ont finalement pas été modifiées en Oregon.

Au Québec, qui plaidera la cause des joueurs de la LHJMQ?

Un groupe de pression étranger dont la crédibilité est moyenne – pour être poli – tentera de sensibiliser les élus de l’Assemblée nationale le 28 mai prochain. Mais où sont la CSN, la FTQ et les autres grandes centrales québécoises censées, justement, défendre les droits des travailleurs et viser à les étendre plutôt qu’à assister à leur étiolement?